mardi 30 décembre 2014

Little India of Paris


Place du Caire, près du métro Sentier...

... un noyau "indien" sous nom d'emprunt égyptien.



Dans le cadre d’une balade urbaine organisée par l’association Promenades Urbaines en partenariat avec le Musée de l’Histoire de l’Immigration, j’ai eu la chance d'aller à la rencontre des diasporas indiennes installées sur le territoire parisien. Voici un petit compte-rendu de l’expédition, qui a pour but d’introduire l’histoire des communautés du sous-continent indien à Paris ; et d’inciter à prêter attention à la façon dont les migrants façonnent sur le temps long les lieux qu’ils traversent et investissent, au-delà des clichés.



Une diaspora plurielle

Avant de répertorier les signes de la présence indienne dans l’espace urbain parisien, ce qualificatif d’ « indien » mérite d’être questionné. En effet, l’origine géographique des « Indiens » de Paris reflète la diversité du sous-continent indien. Sous un terme générique (que j'utiliserai dans l'article) sont englobés des groupes ethniques et des nationalités différentes : ethnies indiennes (Tamouls, Bengalis, Sikhs, Gujaratis, ...), Pakistanais, Bangladais et Sri Lankais, populations des anciennes colonies (Pondichéry, Île Maurice, Madagascar) ou actuels territoires français (La Réunion).
Réunissant l’ensemble de ces immigrants qui maintiennent des « liens affectifs, culturels,économiques et politiques » avec leur pays d’origine, la diaspora indienne est donc plurielle. Atteignant plus de 5 millions de personnes à l’échelle mondiale, elle compterait en France entre 400-500 000 personnes, concentrées en région parisienne -Paris est la deuxième ville européenne pour sa population d’origine indienne, après Londres.

Des premiers migrants...

Si l’on retrace la chronologie de cette diaspora, l’arrivée des premiers « Indiens » en France est reliée à l’histoire coloniale. Dès le 18e siècle, des marins indiens s’établissent dans les ports français. L’immigration indienne acquiert une nouvelle visibilité au 19e siècle grâce à la vogue de l’orientalisme. Spectacles de danseurs, de musiciens... cet exotisme à succès  se déploie notamment dans les expositions coloniales, qui entretiennent la fascination pour la culture indienne.
Le nombre de migrants d’origine indienne augmente soudainement après 1962 et le Traité de Pondichéry. L’Etat français offre effectivement lors de cet accord avec l’Inde la nationalité française aux habitants de l’ancien comptoir marchand. De 20 000 à 40 000 personnes d’origine pondichérienne résident aujourd’hui en France. 
 


... jusqu’à une vague migratoire en constant développement

A partir de la fin des années 60, le profil des migrants du sous-continent indien change, avec  l’arrivée dans les années 60-70 de Pakistanais et d’Indo-Mauriciens qui succèdent aux Pondichériens.  La diversification des migrations indiennes se poursuit dans les années 80, avec des migrants désormais majoritairement originaires du Pakistan, du Bangladesh et du Sri Lanka. La présence de migrants sri lankais est reliée au conflit qui oppose minorité tamoule et majorité cinghalaise au Sri Lanka. En effet, la guerre civile qui ravage le pays conduit au départ massif des populations tamoules, qui cherchent l’asile politique en Europe.  Entre 80 000 et 100 000 Tamouls Sri lankais vivraient aujourd’hui en France, dont 15 000 avec le statut de réfugiés politiques. L’immigration tamoule est aujourd’hui la source principale de migrations en provenance du sous-continent indien. C’est elle qui a largement contribué à rendre visible la présence indienne en France.

Visibilité dans l’espace urbain de la présence indienne

En effet,  si les premières installations de commerces indiens dans la capitale remontent au début du 20e siècle, dans le quartier St Georges (9e arrondissement),  c’est surtout depuis les années 70, avec la diversification et l’amplification des migrations en provenance du sous-continent indien, notamment du Sri Lanka,  que la présence indienne en France est devenue manifeste.
Dans les années 60-70, des Pakistanais et Indo-Mauriciens d’origine modeste s’installent dans le quartier du Sentier, cœur de l’industrie de la confection et véritable bourse du travail pour les migrants indo-pakistanais de la région parisienne. Aujourd’hui, les noyaux communautaires indiens se situent principalement le long du Faubourg St Denis/rue St Denis et dans le quartier de La Chapelle. Alors que le premier axe accueille surtout des Pakistanais musulmans, notamment dans le passage Brady, parfois surnommé « Little Islamabad », le quartier de La Chapelle concentre des migrants tamouls d’origine Sri Lankaise, d’où son surnom de « Little Jaffna ».

Coiffeur "indien" au travail dans un salon du Passage du Prado

Passage Brady, entrée Bd de Strasbourg

Restaurants indiens en fait pakistanais...

... dans le Passage Brady, "Little Islamabad" de Paris.


Ces deux espaces centraux dans la géographie de la diaspora indienne à Paris sont situés à proximité des gares du Nord et de l’Est. Cette localisation est révélatrice, tant les deux gares structurent les lieux alentours, qui sont conçus pour le passage et l’accueil des voyageurs et migrants. La gare du Nord constitue de plus une connexion via les Eurostars avec l’Angleterre, autre pays qui accueille une communauté indienne très importante. 

Vue sur les toits de la Gare de l'Est...

... gare qui organise l'espace des quartiers environnants.
Rue du Château d'Eau, hôtel en manque d'étoiles. Pour les migrants de passage ?

La présence des communautés du sous-continent indien se manifeste dans leur occupation particulière de l’espace. Les migrants indiens tendent à s’insérer dans le tissu urbain à travers les commerces et les restaurants ethniques, qui se concentrent dans un périmètre étroit (ex : le Passage Brady), tout en étant dispersés à l’échelle de la capitale.
L’importance de l’ « ethnic business » démontre un lien étroit entre commerce et immigration. Souvent les immigrants installés tiennent des hôtels, des restaurants, des petites boutiques... tout un ensemble d’établissements qui jouent un rôle d’accueil et d’intégration pour les primo-arrivants. Généralement, les "arrivants" s’insèrent dans des circuits migratoires déjà établis. Sur place, les migrants nouvellement arrivés nouent des relations  avec des individus de leur origine, qui sont parfois issus du même village qu’eux. Les commerces ont donc un rôle important, tant du point de vue de l’insertion économique que pour les réseaux sociaux qu’ils fournissent : ce sont « les points nodaux de réseaux de solidarité » (Gazagne, 2011).

Epicerie indo-pakistanaise, alimentation générale ou produits ethniques ?
Fruits "locaux", en direct du Sri Lanka

Le fait que la majorité des activités économiques soient reliées à la migration contribue à façonner un tissu communautaire, qui reflète les mœurs culturelles et religieuses du pays d’origine et recrée son atmosphère. Un processus d’appropriation de l’espace par les migrants est à l’œuvre dans un quartier comme celui de La Chapelle, où la présence des Tamouls est particulièrement visibles : enseignes des boutiques, affiches, couleurs, odeurs...  l’ensemble des éléments du paysage urbain recrée de manière ostentatoire un pays d’origine symbolique.
Les pôles « indiens » de Paris attirent la diaspora indienne à l’échelle d’un large territoire, en tant que lieu d’approvisionnement en ressources ethniques et lieu de rencontre. Pour autant, ces quartiers communautaires commerçants n’ont pas de fonction résidentielle, d’où leur appellation de « centralité minoritaire » (A. Raulin, 2000). Peu nombreux sont les Tamouls par exemple à résider à La Chapelle.
Leur présence, bien que principalement commerciale, peut toutefois entraîner des tensions avec les résidents, qui peuvent avoir une représentation différente de leur lieu de vie, et être rétifs à l’évolution en cours de leur quartier. Cette réticence s’explique aussi par la force d'influence du modèle d’intégration français « universaliste », qui laisse peu l’expression aux identités culturelles spécifiques.

Apparemment l'une des pâtisseries indo-pakistanaises les plus réputées de Paris, à vous de retrouver la rue



Rue du Faubourg St Denis, temple de l' "Asian fashion" (du Sud )



Une des nombreuses vitrines de traiteurs indiens


Le cinéma, un autre symbole de la présence indienne


Ces nouveaux « territoires indiens » parisiens sont loin cependant d’être des espaces communautaires fermés. Ce sont au contraire des quartiers multiculturels, qui mélangent les migrants indiens aux Parisiens et aux autres communautés de migrants. Ainsi, le Faubourg St-Denis, historiquement surnommé la Petite Turquie, est devenu aujourd’hui également un lieu d’accueil pour les communautés indiennes et chinoises.

La Porte St Denis, porte d'entrée sur le faubourg du même nom

Restaurant populaire turc, dans la rue du Faubourg St Denis
A une échelle globale, les quartiers indiens de Paris sont connectés aux autres diasporas indiennes européennes et extra-européennes. Ainsi, ce sont des espaces à la fois délimités et ouverts, où se déploient des solidarités locales et transnationales, qui mettent en réseau des quartiers et des personnes au-delà des frontières et de la distance.


De la Banette au sari, offre commerciale interculturelle rue du Faubourg St denis

J'espère que ce petit vade-mecum sur les présences indiennes à Paris vous servira d'invitation au voyage, non pas comme un appel à partir vers des destinations lointaines, mais comme une incitation à prêter attention à l'existence de communautés de migrants dans l'environnement familier. Les signes de leur présence font désormais partie intégrante des paysages urbains contemporains, et offrent moins un dépaysement qu'une prise de conscience de la globalité des réseaux de migration. L'impact de la diversité culturelle dans l'espace urbain est plus que jamais d'actualité : jamais figée, la ville ne cesse de changer, au fil des migrants qui l'habitent, la façonnent et l'enrichissent. 

Sources :

Dequirez, G. Processus d'appropriation et luttes de représentation dans le Little Jaffna parisien. Revue européenne des migrations internationales. Vol 26 -n° 2. 2010.
Dinh, B. Un terrain marchand à l'épreuve de la diversité culturelle. Hommes et migrations, n° 1280. 2009.
Gazagne, P. Les Tamouls de la Chapelle, entre solidarité et dépendance. Hommes et migrations, n° 1291. 2011.
Jones, G. Le trésor caché du Quartier indien : esquisse ethnographique d'une centralité minoritaire parisienne. Revue européenne des migrations internationales. vol. 19 -n° 1. 2003.
 Servan-Schreiber, C. § Vuddamalay V. Les étapes de la présence indienne en France. Hommes et migrations. Vol. 1268. 2007.