lundi 14 mai 2012

Jogj'art, cultures urbaines indonésiennes

« Bon, on le fait ce stensil ? », m’interpelle un ami français streetartiste, de passage à Jogja où il peint avec sa copine japonaise les murs de Survive Garage, un espace destiné à réunir amateurs ou graffeurs déjà connus dans le milieu artistique alternatif de la ville.

Welcome to Survive Garage !
Oui, on le fait le stensil, j’ai fini de découper mon pochoir, et aidé de Séb (Un escargot vide pour son nom d’artiste), me voilà face au mur, spray à la main, prête à pulvériser la peinture sur la feuille perforée. Le résultat n’est pas mirobolant, mais enfin, j’ai mis ma première trace colorée sur un mur de Jogja, huit mois après mon arrivée.

La production de Seb et Emi :)


De quoi peindre !


Pourtant, ma rencontre avec le streetart n’est pas récente. Ici les peintures débordantes de vie s’échappent de leur support de béton et sautent aux yeux du passant dès la première visite de la ville. Jogja est certes le centre officiel de la culture javanaise traditionnelle, mais c’est aussi un lieu d’échanges et de productions pour les artistes contemporains, ainsi que pour toutes les figures anonymes du streetart. D’abord en compagnie d’un ami peintre de passage, puis d'une amie venue droit de Tokyo pour se frotter aux arts de la rue indonésiens, j’ai côtoyé un monde underground finalement facile d’accès. Et c’est surtout dernièrement, grâce à l’arrivée de Lauranne, une amie faisant un stage au journal The Jakarta Post que j’ai découvert un espace de créativité et de libre expression qui, sans m’être indifférent à Paris, ne m’avait pas autant marqué. Le constat est indéniable, dans des villes comme Jogja, Bandung ou Jakarta, les cultures urbaines sont développées, fortes, et engagées.





Leur engagement se manifeste d’abord dans la défense de l’art et des traditions, ici javanaises. Les artistes ont pour but de faire vivre la ville, de faire bouger les lignes. Ils s’approprient les codes de la culture traditionnelle pour lui insuffler une nouvelle énergie. Ce mélange entre ancien et moderne est revendiqué par exemple par la Jogja Hip Hop Foundation, qui rappe en javanais, et dont le but est de promouvoir l’amour et le pluralisme –je cite-  à travers des « battle » de poésie javanaise. J’ai vu également à Jakarta un spectacle de hip-hop mémorable : les instruments anciens s’accordaient au rythme d’une langue scandée, et bouleversait les codes classiques, avec des danseuses traditionnelles se mêlant aux figures des dance battles, essentiellement masculines.

Le sens de la communauté, une valeur encore très forte à Java, est un autre signe de l’engagement de la sous-culture pop-rock-punk-dan lain lain. Les créations ont certes la signature du streetartiste, mais elles s’effectuent parfois en groupe, et les œuvres musicales sont souvent le fruit de collectifs. Des lieux de réunion comme Survive Garage ou Common Room à Bandung ont un rôle à jouer comme agitateurs d’idées et dans le renforcement des liens de la communauté artistique.


Common Room justement, un autre espace alternatif à Bandung (qui montre que le foisonnement artistique n’est pas limité à Jogja), propose une réflexion passionnante sur les liens possibles entre arts et société. Un melting-pot d’idées, de matériaux et d’individus qui aborde des champs aussi variés que le design, la musique ou l’écologie urbaine, et développe une créativité multi-disciplinaire, source de dialogues et de solutions potentielles pour un vivre-ensemble urbain amélioré. Et ça marche !

C’est cette démarche politique et social originale qui anime également Urban Cult, un  collectif à l’origine d’un site internet où sont régulièrement ajoutées des photos d’œuvres de streetart, d’abord de Jogja, puis de toute l’Indonésie. Plusieurs raisons à ce projet, dont les principales sont de diffuser et garder une mémoire d’un art par essence éphémère car en perpétuel renouvellement,  et de le diffuser vers un public plus large. Le street art est a cet égard un art très démocratique : pas besoin d’aller dans les galeries pour avoir accès aux œuvres, la rue est un musée a ciel ouvert, et n’importe qui peut à son tour se l’approprier pour laisser libre cours à ses pensées. Le projet d’Urban Cult est donc une initiative citoyenne visant à promouvoir un art populaire. Le but recherché est également de recueillir les réactions du public, dans l’idée d’un échange entre l’artiste et son audience, d’une responsabilité de l’artiste vis-à-vis de son travail, du message qu’il porte.




Pour conclure, la dimension engagée des cultures urbaines indonésiennes se manifeste  dans leur vision politique de l’art, qui se traduit par une position critique envers le gouvernement et les maux de la société plus généralement. Dénoncer la corruption du gouvernement sur un poster de grandes dimensions, peindre un haut-parleur de trois mètres de haut pour laisser place au mécontentement de la société, représenter (enfin !) des femmes et de leur donner la parole dans cet univers masculin, tout autant de signes qui indiquent une conscience politique forte, derrière les caractères colorés des streetartistes et leurs allures de bad boy.

 

Un grand merci à mon coloc Alexis pour la plupart des photos, et à Lauranne, qui a signé un brillant article dans le Jakarta Post sur ce sujet !


Pour aller plus loin :
http://entbth.blogspot.com/ (le blog d’Alexis en Indonésie, superbe !)