dimanche 16 février 2014

Balade urbaine # 1 : North By Northwest, Manchester !



Bientôt six mois que je suis à Londres, et toujours aucun article sur l’Angleterre, mon nouveau pays d’accueil, il était temps de remédier à ce manquement ! Et pour ce premier article “anglais”, plutôt que de vous emmener dans les rues de Londres, à la decouverte du grand fouillis urbain qu’est la capitale anglaise, je vous propose une petite excursion a Manchester, que j ai visité avec mon master debut février, bravant le vent glacial et la pluie.
Un peu d’histoire pour commencer, pour une ville de 500 000 habitants qui, au centre d une agglomération  de 2,5 millions d habitants, forme aujourd hui l’une des plus importantes conurbation du Royaume-Uni.
L’image de Manchester que l’on connaît, ce sont souvent des clichés : le foot (Manchester United -et Eric Cantona !), la ville industrielle en faillite, …De fait, cet ancien bastion travailliste est souvent regroupé avec d’autres villes du Nord de l’Angleterre (Sheffield, Leeds, Liverpool… )sous le label de “shrinking cities”, ces villes frappées par la désindustrialisation et la restructuration qui a suivi, entraînant chômage et misère socio-économique. Le goût de Manchester est ainsi un peu amer, sulfureux également : la ville est célèbre pour son opposition historique à Margaret Thatcher, dont la bataille contre les syndicats ouvriers a pris place notamment dans la région de Manchester.
Pour autant, il ne faudrait pas réduire Manchester au foot et son image de ville en déclin. Au contraire, la ville, aujourd’hui en plein renouveau, a une histoire longue, associée au développement économique de l’Angleterre. Avant même d’être citée comme la ville industrielle par excellence, Manchester était une cité marchande, fondée par les Romains, qui a progressivement acquis une place très importante dans l’économie anglaise.  C’est avec la révolution industrielle, plus précisément les transformations de l’industrie textile, que la ville va prendre vraiment son essor, devenant une ville globale (et oui, la mondialisation ne date pas des années 1980 !) où s’échange le coton, en provenance d’Inde notamment. (capitalisme + revolution industrielle  + colonisation, où la recette secrete du XIXe siecle).

 
De la voie romaine à la voie ferrée,
les transformations de Manchester






  


L'héritage des voies ferrées de l'époque industrielle

A mesure que “Cottonopolis”  se développe sous l’effet de la révolution industrielle, l’urbanisation s’accélère, sous la forme de grandes usines et des habitations ouvrières plus ou moins informelles qui vont avec. Cette urbanisation de briques rouges, fortement liée à l’industrialisation de la ville, a durablement marqué les formes urbaines , de même que les infrastructures de transport de l’époque, canaux et voies ferrées, qui continuent à quadriller l’espace.
Manchester connaît son “âge d’or” au XIXe siècle, ce qui n’empêche pas la ville d’être le centre de nombreuses contestations sociales et de mouvements ouvriers, les “classes laborieuses” étant catégorisées à cette époque comme des “classes dangereuses”.
Apres la période “glorieuse” mais socialement effroyable de la révolution industrielle, le déclin de la ville s’amorce, le niveau d’activité économique se réduisant au fil des années. Manchester est particulièrement abîmée par les bombardements lors de la Seconde Guerre Mondiale, et se relève difficilement après la guerre : l’industrie lourde sur laquelle est fondée la prospérité de la ville n’est plus rentable, et son effondrement est facilité par les réformes de Margaret Thatcher, qui s’y attaque à partir de 1979. Seules restent aujourd’hui les grandes bâtisses, ossatures vides ou  detournées de leur usage premier, témoins de briques massifs d’un âge industriel sur lequel s’est construit notre monde “post-matériel”.




Ici comme en France, les mêmes "barres"  de logements sociaux...

... que l'on tente de réhabiliter, par un nouveau design.


Le long du canal, ancienne voie de communication à l'ère industrielle...

... anciennes usines...

... dans un état de délabrement plus ou moins avancé...

... pour encore combien de temps ?




Il ne reste plus qu'une ossature de métal à ce qui servait autrefois à stocker le pétrole (ou le gaz)


Manchester est une parfaite illustration de ce passage -non sans douleur- à l’économie post-industrielle : aujourd’hui, l’économie de la ville est tertiarisée, c’est par exemple le lieu d’accueil du siège de la BBC. La reconversion de Manchester, entamée à la fin des années 1980, est plutôt réussie, et les investisseurs ne s’y trompent pas, y trouvant là leur deuxième ville de prédilection après Londres pour investir. La ville a ainsi retrouvé son statut de centre commercial, à un niveau européen cependant plus que mondial.
Le succès actuel de Manchester s’explique entre autres par les politiques de rénovation urbaine engagées par les autorités locales dès la fin des années 1980. Choix radical de la démolition de l’héritage industriel puis reconstruction de nouveaux bâtiments “modernes” et “attractifs”, ou rénovation plus ‘douce” par la réhabilitation des bâtiments ouvriers, reconvertis à d’autres usages… En bref, les arènes commerciales ont remplacé les usines, et cette régénération urbaine, basée le shopping et le divertissement, sur la construction de centres commerciaux ou d’immeubles pour bureaux, est un choix politique et urbanistique à questionner. 

Au centre de la ville, une rénovation urbaine radicale





Aux anciennes briques s'ajoute désormais l'acier et le verre des nouveaux bâtiments









Ce tournant vers l’entrepreneurialisme urbain, s’il a réussi le pari de redonner à Manchester visibilité et attractivité, n’est pas exempt d’échecs. Les politiques de développement économique local et de marketing urbain, sensées développer la compétitivité de la ville dans un contexte de concurrence territoriale, se sont couplées avec un aménuisement de l’Etat-providence au niveau local. L’accroissement des fractures sociales et territoriales  n’est peut-être pas visible dans le centre rénové à neuf de Manchester, mais il suffit d’aller un peu plus loin dans les périphéries de la ville pour les constater. Et c’est dans ces banlieues pauvres et ignorées par les politiques néolibérales de régénération urbaine, que l’UKIP, le parti nationaliste et xénophobe anglais, trouve son nouvel électorat, dans un territoire votant pourtant traditionnellement travailliste (comme le rapporte cet article du Monde sur Wythenshawe, dans le Sud de Manchester).


Perspective sur le nouveau business centre de Salford,
à l'extremité Nord de la ville...






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Non loin de Sanford, le nouveau centre économique de Manchester, des "restes" de logements sociaux 




Traditionnelles maisons ouvrières...


... et leur version améliorée,
toujours aussi uniforme cependant



Pour finir sur une note positive, je ne peux que vous recommander d’aller à Manchester, un patchwork urbain passionnant, où l'histoire de la ville se reflète dans ses bâtiments, et où il semble faire bon vivre, avec une vie culturelle et sociale qui paraît active, plein de pubs et de cafés à explorer, de musées à visiter, de collectifs à rencontrer (si vous êtes prêts à affronter l'humidité et l'accent du Nord de l'Angleterre, pas toujours facile à comprendre !).


Manchester, une ville gay-friendly et féministe...

jusque dans les détails du paysage urbain !