mardi 12 juin 2012

Gunung Lawu, la montagne sacrée


Derniers jours à Jogja, encore quelques examens, une soirée de départ et je pars pour Jakarta retrouver des amis de Sciences Po avec lesquels je vais voyager pendant une, deux, trois semaines, voire un mois et demi pour certain(e)s (merci les cadeaux d’anniversaire !). Ces derniers temps, j’étais donc occupée à essayer de profiter un maximum de la vie à Jogja, des soirées au warung ou à la maison qui s’est transformée en auberge espagnole, de nouvelles performances artistiques (hip hop), de projets écolos dans des écoles, avec sur le tas quelques révisions d’indonésien. J’ai eu la chance aussi d’accueillir mes grands-parents, tout frais débarqués d’Amiens leurs valises pleines de douceurs françaises, et de leur faire découvrir comment je vivais l’Indonésie à ma façon. Un grand bonheur qui me donne un avant-goût des retrouvailles avec la famille ; une petite semaine vite passée entre Solo, Jogja, et Surabaya.


Au petit matin, lever de soleil depuis le Posko de notre guide



Avant de partir de Java, il y avait une chose que j’avais vraiment envie de faire, une dernière randonnée qui me tenait vraiment à cœur, l’ascension du Gunung Lawu, un volcan situe à la frontière entre Java Centre et Java Ouest. Ce projet avait été un peu retarde à cause de mon accident de scooter, et c’est donc début juin seulement que je suis partie avec ma coloc japonaise escalader cette montagne de 3065 mètres  -seulement 1400 mètres à grimper réellement, avec un sentier bien tracé pour une fois.
Quelques heures de train/bus sont nécessaires depuis Jogja pour arriver jusqu’au point de départ, où nous avons rencontré un guide, Mbah Harsono, qui a accepté de nous emmener jusqu’au sommet. Un sacré personnage, javanais jusqu’au bout des dents (qu’il avait presque toutes perdues, pas facile de comprendre son indonésien a l’accent javanais bien prononce, ponctue de grands éclats de rires), toujours la grande forme à 60 ans, après une vie passée à secourir les victimes des catastrophes naturelles, nombreuses en Indonésie (tsunami d’Aceh, éruption du Gunung Merapi, tremblement de terre de Jogja…).


A défaut de soleil, une mer de nuages

Comme toujours en Indonésie, nous avons commencé l’ascension de nuit, afin d’assister le lendemain matin au lever du soleil. Des le départ, la montagne dégage une atmosphère très particulière, comme si l’héritage historique et mystique du volcan avait imprégné la végétation, les pierres, et adressait un message particulier aux visiteurs de passage. La légende du Gunung Lawu raconte que quand le royaume de Majapahit se convertit à la religion musulmane sous l’impulsion du fils du roi, ce dernier décida de quitter son royaume et d’avoir une vie d’ermite, installé sur les flancs du Gunung Lawu. Encore aujourd’hui, plusieurs centaines de « pèlerins » javanais, adeptes du Kejawen, la religion traditionnelle javanaise,  se rendent sur cette montagne sacrée, en quête de renouveau spirituel et d’endroits dédiés à la méditation. De fait, la route pavée (du moins au début), qui date de l’époque hindo-bouddhiste de Java, chemine jusqu’au sommet en passant par de nombreux emplacements destinés au recueillement,  dans le calme et la sérénité de la montagne.


La végétation est différente, sûrement du fait de la différence de température


Nous sommes chanceux car nous marchons sous la pleine lune, qui éclaire le paysage, des grands arbres éparpillés dans des vallées presque argentées sous les rayons de lune. C’est le froid qui nous empêche de nous attarder et nous arrache à notre contemplation, il fait peut-être entre zéro et cinq degrés, un véritable choc thermique après 9 mois à 35°c, et nous claquons des dents en concert sous la tente que nous avons montée pour nous reposer quelques heures.


Notre sacré guide, et Aki, ma coloc

La dernière partie de la marche est la plus difficile, un sentier un peu raide et surtout exposé au vent, qui souffle très fort sur les crêtes, comme si le volcan nous imposait une dernière épreuve avant de nous laisse approcher son sommet. Enfin, nous atteignons vers 4h30 le minuscule refuge que le guide a lui-même bâti l’année dernière, et nous nous reposons en attendant le soleil (et la chaleur qui va avec !).


La frontière entre Java Centre et Java Est

Une fois le jour levé, bol de nouilles et sommet expédiés, nous décidons sur les conseils de notre guide de prendre un sentier alternatif qui doit nous mener près de temples hindous splendides, difficiles d’accès et donc peu visités. Mal (ou bien ?) nous en prit, c’est dans un raidillon boueux et accidenté que nous sommes engagés, pour huit heures. Descente épique donc, nous nous imaginions déjà rester dans la forêt, tant nos jambes ne pouvaient plus nous soutenir –j’ai fait la dernière heure à moitié sur les fesses, quand enfin nous atteignons le camp de base n° 1, situé  juste à côté du premier temple …


La forêt des brumes où venait se recueillir Sukarno, premier président de l'Indonésie

Ce temple en pierres, très simple, est certainement l’un des plus beaux endroits que j’ai vu en Indonésie, un lieu saisissant, caché au milieu des arbres, qui semble contenir toute la sagesse javanaise entre ses murs. Un endroit qui incite à s’arrêter, à prendre le temps de s’asseoir pour réfléchir, poussé par la quiétude rassurante, l'harmonie que dégagent temples et forêt. Pas besoin d'être hindou pour pouvoir prier dans les temples, et assurément,  les personnes se retirant ici pour quelques jours (ou quelques mois ?) doivent connaître des moments de belle solitude.


Vestiges de l'hindouisme javanais, 15ème siècle

De notre côté, nous ne somme plus seuls, nous avons au contraire droit à une escorte royale, notre guide ayant appelé son équipe de secouristes pour venir nous chercher à l’arrivée, loin de tout transports publics. Nous rentrons donc dans le « tank » de fonction, gyrophares allumés pour atteindre plus rapidement l’arrêt où nous devons attraper le dernier bus avant la nuit pour Jogja.


Sanctuaire hindou près du Candi Cetho

Je n’avais encore jamais expérimenté cet état de fatigue et plénitude extrême, dû aux 16 heures de marche et à la beauté intacte des lieux, qui paraissent avoir été désertés après le départ des hindous javanais, il y a quelques siècles. Un endroit magique, dans tous les sens du terme, qui appelle à revenir (en privilégiant cette fois ci l’option courte !).