jeudi 8 décembre 2011

L'Indonésie, un Etat, deS nationS

Y’a-t-il une nation indonésienne ? Posée comme ça, la question fait un peu exercice-type de l’étudiant en histoire, et pourrait donner lieu à un joli pipotage[1]. Ou alors rappeler notre brillant débat sur l’identité nationale de 2009-2010, où sous couvert de rassembler les Français autour d’une même définition du vivre-ensemble, nos chers représentants politiques[2] avaient en fait stigmatisé l’immigration et dénoncé le multiculturalisme.

Pourtant, dans le contexte de l’Indonésie, cette interrogation me paraît sujet à réflexion : plus de 300 langues (qui disparaissent tous les jours), 500 ethnies, 17508 îles[3]… 



 
La carte et les statistiques le montrent, on est bien loin de notre petit Etat-nation hexagonal. La République indonésienne est encore toute jeune, indépendante depuis 1949 seulement. C’est d’ailleurs en cette même année que fut fondée UGM, mon université, la plus grande et la plus vieille du pays aujourd’hui, mais à l’histoire récente comparée à des monuments comme l’université de Bologne en Italie (1088). Au regard de nos livres d’histoire où l’on apprend (encore) « nos ancêtres les Gaulois » et l’histoire des rois de France, la trilogie Révolution-Napoléon-Restauration suivi de l’avènement de la République, difficile de trouver un élément commun qui réunirait tout l’archipel indonésien, si ce n’est d’être un lieu d’échanges humains et commerciaux, qui a subit la colonisation portugaise puis hollandaise. Cette dernière a été un terreau fertile pour le nationalisme, qui s’est construit en opposition à la domination néerlandaise.  C’est  d’ailleurs le mouvement nationaliste qui a porté l’indépendance et fondé les bases de la République indonésienne, dont la devise « Uni dans la diversité» rappelle la nature profondément multiculturelle de l’Etat indonésien. A ce slogan s’ajoutent cinq  principes édictés par Sukarno, premier président, qui forment ce que l’on appelle ici le Pancasila, autrement dit l’idéologie nationale : un Dieu unique malgré la diversité religieuse, une humanité civilisée, la protection de l’unité de l’Indonésie, une démocratie représentative et délibérative, et une justice sociale. Cette philosophie étatique, combinée au caractère collectiviste des sociétés asiatiques et à l’importance de l’Islam comme facteur d’unité, devrait aboutir à une définition facile de l’identité indonésienne.


Sukarno, premier président... pas Carla mais Marylin sur la photo, plus classe !
Néanmoins, l’intégrité de l’Etat indonésien est régulièrement menacée par des conflits séparatistes (au nord de Sumatra, en Papouasie, aux Moluques…), et quand j’ai demandé en classe de communication interculturelle tant au professeur qu’aux autres étudiants ce qu’était pour eux l’identité indonésienne, il y eut un grand moment de silence avant que certains ne tentent d’ébaucher une réponse…
Etre javanais, balinais, maduranais ? Facile ! Selon les Javanais eux-mêmes, un « bon » Javanais a une haute notion de la politesse et du savoir-vivre, un Balinais est hindou et peut manger du porc, les habitants de Sumatra parlent fort et aiment les épices… et chaque « peuple » a sa propre langue. Ici à Jogja, la plupart des mes amis peuvent parler le bahasa jawa, qu’ils utilisent souvent dans leur famille et  sont censés avoir étudie à l école. Cette diversité culturelle toujours vivante, j’en profite tous les jours, en allant voir des danses d’Aceh (Sumatra) puis des spectacles traditionnels javanais par exemple.
Mais ce sentiment d’appartenance ethnique, extrêmement fort, peut aussi induire des stéréotypes entre les communautés. Ainsi, dans ce même cours de communication où j’espérais apprendre à éviter ethnocentrisme et stéréotypes culturels, il s’est avéré que l’on passait beaucoup trop de temps à ressasser des préjugés. Ainsi, la plupart des étudiants en classe viennent de Java, Sumatra ou Sulawesi, et aucun d’eux n’est originaire de Papouasie. Du coup, les pauvres Papous en prennent un coup : ils sont, je cite, « sales, mal-élevés, sans savoir-vivre, ils puent, ils boivent, ce sont des voleurs, ils conduisent mal… ». Pire, « ils sont d’une autre race, ils sont noirs ! » Encore, on a échappé aux cannibales…  -selon certains de mes amis, je risque de me faire découper en morceau si je passe par le Nord de Sumatra en rentrant de Thaïlande, car les habitants là-bas ne sont pas « civilises ».

Exacerbées, les différences entre ethnies sont sources d’incompréhension et peuvent déclencher des conflits pseudo-culturels (car pour moi, si les habitants de Papouasie ou des Moluques veulent leur indépendance, c’est surtout pour pouvoir exploiter eux-mêmes leurs terres, dont les richesses sont délibérément volées par les compagnies internationales avec le soutien de l’Etat indonésien).

En tant que, Française un peu Parisienne et Franc-Comtoise, qui aime autant les Alpes que la Normandie, autant le Nord que les paysages de Corse, j’avoue que j’ai souvent du mal à entendre les assertions communautaristes, presque racistes de certains Indonésiens, dont mes amis.
Ainsi, je discute avec un ami qui vient de Bali, arrivé il y a un an à Jogja, et qui me dit que maintenant c’est beaucoup mieux. Quand je lui demande pourquoi, il m’explique qu’il vit depuis cette année dans un Kos avec seulement des Balinais, et que forcément, l’atmosphère y est meilleure… mais il n’est pas capable de me donner des détails, c’est juste un « feeling »…
Autre exemple, j’ai rencontre une Indonésienne d’origine chinoise récemment. Il faut savoir que les Chinois sont sujet a beaucoup de préjugés et donc de discrimination de la part des Indonésiens, qui les accusent de s’enrichir au dépend du reste de la population. Ana, dont le père est Indo-Chinois et la mère taïwanaise, m’a expliqué qu’a l’école, elle ne jouait qu’avec les gens « comme elle », les autres Chinois. Aujourd’hui, Ana ne sortirait pas avec un Javanais, encore moins pour se marier ! De toute façon, ses parents le lui ont formellement interdit. Ana a beau être née en Indonésie, y avoir toujours vécue, elle reste Chinoise, étrangère à Java ou presque. Si l’intégration est possible a Jogja, ou règne un mélange joyeux de tous les peuples d’Indonésie, plus quelques étrangers (et je me sens très bien intégrée !), l’assimilation n’existe pas : on nait Javanais, on ne le devient pas (et moi qui rêvait de me marier au fils du sultan du Kraton, c est raté…).

C’est un point capital à saisir pour comprendre l’Indonésie, surtout quand on vient d’Europe où les identités sont beaucoup moins marquées, malgré tout ce qu’on peut dire, et pas limitées au lieu de naissance. Ainsi, l’acquisition de la nationalité française est supposée être ouverte a tous, quelques puissent être les origines ethniques, culturelles, religieuses de chacun. (Mais cette définition ouverte de la citoyenneté ne cesse d’être remise en question de jour en jour, comme l’illustre ce pitoyable « billet » publié sur Le Point :  http://www.lepoint.fr/editos-du-point/patrick-besson/eva-joly-presidente-de-la-republique-01-12-2011-1402786_71.php).

Le drapeau indonésien avec le Garuda Pancasila, l'aigle-symbole du nationalisme


Pour autant, mes amis indonésiens viennent de Sumatra, de Java Est, Ouest, de Kalimantan, Bali comme de Jogja, et incroyable mais vrai, ils s’entendent bien !  Pour moi, ce sont avant tout des jeunes Indonésiens adeptes de Facebook et de chansons pop, d’Indomie et de tempe goreng,  quelques soit leur provenance… Tous, malgré la diversité de leurs origines, sont fiers d’être indonésiens, ce qui rejoint ici la conclusion à laquelle nous avions finalement abouti en cours : être indonésien, c est aimer son pays, vouloir y vivre en harmonie avec les autres « peuples-frères » (même si, comme l’a encore une fois lourdement soulignée la prof, c est plus difficile avec des « gens qui ne sont pas comme nous », comme les Papous par exemple…). La nation indonésienne est une « communauté imaginaire » qui relie des peuples désireux (plus ou moins !) de vivre ensemble, et qui partagent au final un minimum de caractéristiques communes, dont notamment une langue, la passion du Nasi Goreng, et les huées anti-Malais lors des matches Indonésie-Malaisie… Reste à savoir dans quelle mesure cette célébration de l’unité nationale n’est pas spécifique à Java, centre dominant de l’Indonésie, notamment pour sa culture, que je vous présenterai dans un prochain article !


[1] du verbe pipoter : débiter des banalités pendant dix minutes sur un sujet dont on a une vague connaissance…

[2] Etonnamment étiquetés à droite…
[3] D’accord, je triche un peu, seulement 6000 îles sont habitées, mais c’est déjà pas mal !