mercredi 28 mars 2012

Lao(s)tostop !







Mékong traversé, munis d'un visa de 30 jours, nous voilà arrivés au Laos, plus petit Etat de la péninsule indochinoise, enclavé entre Chine, Thaïlande, Vietnam, et Cambodge. Frontière naturelle entre Thaïlande et Laos, le Mékong est moins une séparation qu’un lien de continuité entre deux pays dont les histoires s’entremêlent, entre rivalité et lité. L'hégémonie de la Thaïlande au Laos, autrefois militaire et politique, désormais culturelle et économique, est palpable : le laotien qui ressemble fortement au thaï, la musique, la nourriture, la religion, la télévision... Et inversement le Laos déborde de ses frontières : dans l'Est de la Thaïlande, nombreux sont les gens qui parlent laotien et thaïlandais et descendent de populations laotiennes déplacées au gré des affrontements entre royaumes. Une occasion de se rendre compte de l'arbitraire des frontières, dont les tracés artificiels, sources de nombreux conflits dans la région, passent au-dessus des peuples. Mosaïque ethnique, le Laos n’est qu’à 54,6 % habité par des populations « lao », le reste étant des minorités ethniques, importantes notamment dans le Nord, près de la Chine. Cela ne signifie pas que le Laos n'ait pas une identité propre, qui se retrouve par exemple dans l'habillement traditionnel des femmes, dans sa volonté d’indépendance par rapport à ses grands voisins ou dans son art original.


Spécificité laotienne également : le stop y est beaucoup plus difficile qu’en Malaisie ou en Thaïlande, les deux pays où je l’avais pratiqué auparavant ! Face au dilemme de prendre ou ne pas prendre un bateau voguant pendant deux jours sur les eaux du Mékong, nous faisons le choix de rester fidèles au stop. L'idée d'une “croisière” est certes séduisante, mais coûteuse, et très touristique, ne correspondant au final pas vraiment à notre mode de voyage.

Ainsi, tournant le dos au Mékong, nous partons faire nos premiers kilomètres en stop. Les débuts sont compliqués, car les gens sont plus timides qu’en Thaïlande, fuyant presque le contact (ou alors nous sommes “affreux, sales et méchants”, autre possibilité !). Heureusement, après un défilé de véhicules ne s'arrêtant pas, un chauffeur thaï de poids lourd nous prend dans son camion, qui s'efforce vaillamment de gravir les petites routes vertigineuses. Les paysages sont sauvages, des grandes étendues montagneuses recouvertes de forêt dense, et les rares villages par lesquels nous passons sont faits d'habitations beaucoup plus modestes qu'en Thaïlande. Assurément, le Laos est un pays pauvre, par rapport à ses voisins thaïlandais et vietnamiens, nouveaux pays industrialisés, ou même à l’Indonésie. C’est là le résultat de l’Histoire, entre colonisation, guerre civile, guerre du Viêtnam et ses bombardements meurtriers, ainsi que la conséquence des errances du « socialisme » imposé après 1975, suivi d’une libéralisation économique aux bénéfices inégalement répartis.


Nord du Laos, tout près de la frontière chinoise... !

Notre ami chauffeur s'arrête pour la nuit dans un village, et propose de nous déposer un peu plus loin le lendemain. Nous acceptons avec plaisir son offre, étant juste un peu surpris par le manque d'hospitalité des gens du village dans lequel nous avons atterri : peu de conversations, nourriture très chère, pas de boisson chaude malgré le froid qui sévit, ni d'abri sommaire à nous offrir. Je réalise par la suite que ce que je prenais pour une évidence, l'hospitalité et la générosité des habitants locaux, n'est pas une règle générale, ce qui est au final totalement normal. En France les touristes ne sont pas accueillis avec enthousiasme et grands sourires, et à force de vivre dans une position privilégiée d'étrangère, femme et blanche en Indonésie, j'ai eu tendance à m'habituer à être servie et dorlotée, au centre de l'attention. Bon rappel à la réalité, à garder humilité et se méfier des clichés,  même si la nuit, glaciale, fut courte et que je suis contente de retrouver la cabine du camion vaguement chauffée.

Le chauffeur roule jusqu'en Chine, il nous dépose un peu avant la frontière, à un croisement. Encore une fois, l'accueil des villageois est indifférent, pas particulièrement cordial, ce qui est une remise en question pour moi, toujours en quête de rencontres et de sourires, et qui trouve pour la première fois porte fermée. Est-ce dû à la culture, aux mœurs locaux, ou alors à un rejet des touristes ? J'élimine la deuxième proposition, parce que nous sommes vraiment dans un endroit isolé, où les étrangers ne courent pas les rues, et nous avons bien peur de rester en rade, dans un cadre heureusement splendide.


Dans l'attente d'une improbable voiture, le temps d'admirer les paysages qui nous entourent

Dur de stopper les rares voitures qui passent (au moins leurs conducteurs nous adressent toujours un signe !), mais une voiture de Chinois en déplacement pour les affaires nous vient en aide. Ils sont très “chinois” (c'est à dire qu'ils correspondent pleinement aux nombreux stéréotypes que j'ai sur ce pays, que je devrais visiter un jour pour en avoir une vision dépouillée de préjugés) : pressés mais très gentils, drôles avec nous les étrangers, nouveaux riches contents de pouvoir faire usage de leur nouvelle voiture super puissante ou de leur appareil photo Leica haut de gamme. Nous déjeunons ensemble -du groin de porc, plus jamais !- à Oudom Sai, une ville du Nord du Laos qui pourrait être chinoise, et nous en restons là, nos places étant prises par d'autres businessmen chinois.


Le salut du Bouddha géant d'Oudom Sai, enclave chinoise en territoire laotien

Ce soir-là, nouvelle idée pour la nuit : chercher refuge dans un temple (après avoir pensé que les lieux de culte, chrétien, musulmans ou bouddhistes, étaient supposés être des lieux d’asiles pour les gens de passage, si on applique à la lettre les textes sacrés !). Le premier essai est un raté -pas facile d'expliquer en laotien qu'on souhaiterait planter la tente dans l'enceinte du temple, situation embarrassante ! La deuxième tentative est la bonne, nous sommes même logés dans une salle de classe pour novices, où nous passons la soirée à discuter avec l'un des professeurs, d'humeur bavarde. Nous avons un peu près le même âge, une vingtaine d'années, mais quelle différence entre nous ! Lui, 24 ans, une femme et un enfant, un mode de vie austère, un travail astreignant, peu de loisirs et pas de voyages ; nous, libres de bouger, sans contraintes, voyageurs privilégiés... Deux mondes qui entrent en contact, au hasard du voyage, et dont la rencontre et ses conséquences ne cessent de me questionner.

Le lendemain, réveil aux aurores avec le gong du monastère (changement par rapport à l'azan, -appel à la prière musulman), on repart dans le brouillard, loin, très loin du climat tropical de l'Indonésie ou de Bangkok, même la nourriture est différente... la Chine est proche ! Nous tentons le stop, encore et toujours, une heure passe, les voitures sont là, les sourires sont de retour, mais personne ne s'arrête.
Enfin, un pick-up bien rempli nous fait signe. A l'intérieur, un anglais parlant thaï et laotien parfaitement, assez rare, et deux laotiens, frère et sœur, la dernière étant enceinte de six mois. Ils reviennent d'une négociation avec des fermiers, des millions de tonnes de graines en jeu, impressionnante transaction. Leur voyage étant commercial, c'est l'occasion de parler business et économie au Laos. 


La rivière Mékong, "mère de tous les fleuves"...

... qui nous a accueillis sur ses rives !

Conclusion de notre conversation : 

Si les gens sont avec nous tout sourire, ce n'est pas le cas en affaire : corruption des officiels, manque total de fiabilité des partenaires commerciaux, voire même à l'intérieur du groupe, et grande violence qui éclate de manière sporadique. Sue, la femme enceinte, nous montre comme preuve les cicatrices des coups de poignards qu'elle a déjà reçus. On peut donc se faire tuer pour 10 $, à méditer... Eddy, l'Anglais, a lui une longue expérience dans la région en tant que conseiller pour le développement de projets agricoles financés par l'ONU, l'Europe, etc... Grâce à ses connaissances, nous en apprenons un peu plus sur le Laos.

Le pays, très pauvre, est en pleine croissance, mais celle-ci ne profite pas à tout le monde, et le niveau de développement est encore très bas, notamment en termes d’éducation. La croissance est due au fait que le Laos suscite des convoitises de la part de ses voisins, pour ses richesses naturelles (bois et minerais), son électricité, sa position charnière dans la péninsule indochinoise, … Le pays attire les investissements étrangers, notamment chinois, thaïlandais, et vietnamiens, aide extérieure qui finance 85 % des dépenses budgétaires d’investissement. Si cet apport financier est nécessaire pour moderniser les infrastructures du Laos (les routes, grande priorité d’après mon expérience !), il est aussi source de dépendance, et de corruption. Ainsi notre ami Eddy avait-il des difficultés à contourner l’inévitable pot de vin demandé par les autorités locales corrompues pour obtenir leur accord à la mise en place de ses projets.


Quelques traces de communisme à l'ancienne...

... dans la République "démocratique" et "populaire" du Laos

Le tourisme également est une source de revenus, avec plus d’un million d’individus  venant visiter le Laos chaque année. Reste à connaître les impacts socio-économiques de l’afflux de devises et de personnes étrangères, à long-terme… En sachant que l’agriculture reste toujours le secteur représentant la part la plus importante du PNB (47 %), et employant 71 % de la population. C’est donc là qu’il faut agir pour réduire la pauvreté, et non pas dans la construction de complexes touristiques ou d’autoroutes destinées aux poids lourds reliant Vietnam, Chine, et Thaïlande.

Demeure enfin la question de savoir si l’Etat est encore en mesure d’agir : la corruption gangrène le gouvernement,  qui sous une façade démocratique et socialiste cache une bande d’escrocs s’accaparant les richesses du pays. Ancien Etat communiste, le Laos a lui aussi subi la politique de la terreur, la collectivisation forcée et l’embrigadement idéologique. Si l’on parle de libéralisation aujourd’hui, c’est seulement dans sa dimension économique, car l’avènement du suffrage universel n’a pas apporté la démocratie espérée, et le règne du parti unique est toujours d’actualité. Avec des institutions politiques archaïques, corrompues et inefficientes, comment attirer les investissements, comment maintenir sur le long terme tout projet politique, social, économique, d’envergure ? Notre ami Eddy semble fortement désabusé, tout en n’abandonnant pas le combat. 


Les temples ou le bon plan pour planter sa tente


Au  milieu des montagnes, nous roulons (ou plutôt sautons) sur une piste de terre caillouteuse, car le goudron, de mauvaise qualité à cause de la corruption, ne tient pas ! On s'arrête en chemin pour manger, il y a à la carte du rat, des insectes et même du chien je crois, mais je n'ai pas très envie d'essayer...


Etape d'une journée, 500 km, du sport sur les routes laotiennes (bien pires que sur la photo !)


Le chemin continue de serpenter, superbe, jusqu'à Luang Prabang, petite ville touristique et sympathique, nichée entre le Mékong et la rivière Nam Khan. On y trouve un joli marché artisanal, et oh miracle, des baguettes, des crêpes et des croissants, mes premiers en Asie ! Seule influence positive, peut-être, du colonialisme français...
Autre point très positif : L'Etranger, une librairie café tenue par une canadienne, qui projette tous les soirs des films, et dans laquelle j'ai trouvé deux Fred Vargas, parfaits pour la route.Nous restons deux jours à Luang Prabang, les nuits y sont douces, surtout au bord du Mékong, le vélo facile, et le jonglage (enfin pas pour moi, je suis toujours aussi nulle), très chouette.


Vue sur le Mékong à Luang Prabang

Le plus difficile est d'en sortir car décidément, le Laos n'est pas le pays du stop ! Deux heures d'attente (à relativiser, car en Europe c'est un temps des plus normaux !), me voilà presque désespérée, mais patience, un père de famille s'arrête, il va à Vientiane, la capitale, à sept heures d'ici. Un trajet direct qui ne se refuse pas ! Notre conducteur roule à une vitesse hallucinante, nous faisons du 100 km/h sur des routes de montagne où tout le monde roule plus ou moins au milieu, pas très rassurant ! Je me retiens de jurer en français, je me promets de ne plus jamais me plaindre de la conduite de certain(e)s sur les routes des Hautes-Alpes, et attends la fin du voyage avec impatience, en priant très fort Sainte Rita et Saint Christophe, mes grands patrons désormais.

Minuit, nous voilà à Vientiane, capitale du Laos qui fait plutôt petite ville de province tranquille, presque endormie. Ce n'est certes pas l'heure idéale pour planter la tente, mais nous décidons de nous installer dans un grand parc, faute de mieux. La tente est montée, et je suis en train de me brosser les dents quand les flics débarquent, évidemment. Si d'habitude les policiers sont plutôt nos amis, ceux-ci ne sont pas très avenants, ce qui est plutôt normal : imaginez des gens camper Parc Monceau à Paris, ils ne seront pas accueillis à bras ouverts par des gentils policiers. Après leur avoir assuré que non, mon dentifrice ne contient aucune substance illicite, que mes comprimés de doliprane ne sont point de la cocaïne, nous obtenons le droit de déménager vers le terrain de sport d’à côté. Le réveil le lendemain est assez drôle, au milieu des sportifs du dimanche en train de s'exercer !

Les Champs-Elysées de Vientiane, avec une réplique dans le pur style colonialiste de l'Arc de Triomphe

Pas un rêve, des baguettes (presque vraies !)



En se baladant dans les rues de Vientiane, le jour suivant, nous ressentons fortement l'influence française, perceptible dans les petits ou grands détails : vendeurs de sandwichs, écriteaux en français, style architectural entre bâtiments coloniaux et arc de triomphe... Nous dormons dans un temple en reconstruction, au réveil nous avons droit à un sac de riz gluant, aumône faite aux moines, lors de leur quête tôt le matin. C’est avec ce saint encas dans le sac que nous prenons le bus pour échapper à la sortie hors de la capitale. Le temps d’apprécier l’ambiance folklo des bus laotiens, et nous voilà débarqués au milieu de nulle part, sur le bord de la route. Entre deux trajets en voiture, nous rencontrons des cyclistes allemand et canadien pédalant à travers toute l’Asie du Sud-Est, voyage qui fait rêver, encore faut-il être un vrai cyclo (ce n’est pas ce qui manque du côté de Besançon…)
Déjà la dernière nuit au Laos, dans un temple au bord du Mékong, et nous rentrons le lendemain en Thaïlande, en franchissant un « pont de l’amitié », un symbole de l’intégration régionale du Laos au sein de l’espace sud asiatique.

Vie tranquille à la mode laotienne

Une semaine, c’est bien-sûr trop peu pour découvrir un pays comme le Laos, où les habitants cachent derrière un sourire le fond de leurs pensées, peut-être parfois comme moi déconcertés par la vitesse à laquelle change leur pays, encore relativement épargné par la mondialisation

Une semaine seulement au Laos, pour nous laisser le temps de parcourir l’Est de la Thaïlande, dernière partie du voyage…